308 – La caste des morts

Mes amis, nous nous sommes longtemps querellés, mais je vous propose une alternative. Il arrive à l’occasion que l’un des nôtres rejoigne la Légion des morts : les mémoires recensent plus d’une disgrâce cuisante. Ce n’est que par ce volontariat que nous évitons le scandale. Posons-nous donc la question : en sortons-nous grandis ? La Légion est toujours passée pour la rédemption du dernier espoir. Si un noble rejoint leurs rangs, et volontairement là-dessus, des roturiers suivront son exemple et nous n’auront sacrifié pour ce faire qu’un membre bien sot, dernier d’une maison importune. Ses réformes, il est mieux à les crier face aux engeances qu’en cette chambre. Qu’il parte, voilà ce que je propose.

Telle est la décision que nous avons consignée, Durius. Puisses-tu ne pas venir à regretter ton choix, car il est irrévocable.

–Extrait du procès-verbal de l’Assemblée, à propos de la Légion des morts ; addendum inconnu

Très chère Gilly,

Je sais que la vie n’a pas été facile depuis le blâme qu’à encouru notre maison. J’espérais porter seul le fardeau de mes actions, mais si j’avais eu pleinement conscience des conséquences, je n’aurais jamais assassiné au- dessus de ma caste. Il m’en a coûté de te laisser, mais je ne voyais pour seul moyen de t’épargner ma honte que de rejoindre moi-même la Légion. C’est une demi-mesure qui ne saurait me valoir ton réconfort, mais je te supplie de te laisser aller un instant à l’optimisme. On parle d’une nouvelle recrue, un noble ! Ce que j’ai entendu, je n’ose lui jeter le mauvais sort en le répétant, mais peut- être le respect nous est-il encore accessible, aux miens, à toi. S’il nous reste un successeur officiel, peux-tu vérifier qu’il est réel, que la maison Férald a bonne réputation ?

— Lettre de Maïus, non envoyée

Puisse ce rapport parvenir à qui de droit, qui saura en tirer les conséquences tactiques. Nous avons trouvé une enclave d’engeances, une frayère peut-être, mais sans pouvoir nous en approcher. Les engeances étaient nettement plus nombreuses que prévu, aussi ai-je divisé l’escouade pour attirer le gros de la horde. Je ne m’attends pas à survivre, mais j’ai veillé à ce que la majorité de mes troupes en réchappent. Cette décision m’est difficile à prendre car mon rapport ne sera pas entendu et je risque ce faisant de condamner plus de légionnaires que mon effectif, mais je ne peux me résoudre à abandonner des hommes que, chacun, j’ai appelé frère en le regardant dans les yeux. Peut-être ne m’en sauront-ils pas gré, eux qui se croient déjà morts : mais où est vie, est espoir. Je ne serais pas le dernier témoin de leur valeur.

— Tiré d’un rapport de la Légion des morts, signé par le seigneur Durius Férald

Victime : Durius Férald, lieutenant. Trouvé mort avec son escouade. Le cadavre était intact, ce qui indique que les engeances redoutaient sa résolution même dans la mort. La férocité qu’il a mise à défendre ses troupes a été corroborée par les survivants, avant qu’ils ne succombent à la souillure. Il est rare que la mort effective d’un soldat dépasse les honneurs qui lui ont été faits à son recrutement, mais Férald était un cas à part, un agitateur ; ses promesses excentriques nuisaient à la discipline et je crains que sa mort ne démoralise pas seulement ceux qui ont prêté l’oreille à ses divagations. Il a été retourné à la Pierre avec son insigne ; c’était là l’enterrement le plus honorable que nous pouvions lui fournir, talonnés que nous sommes par les engeances, mais la version officielle est qu’il a formé un second front. Mieux vaut que les espoirs qu’il a suscités se dissipent au fil du temps plutôt que de les tuer dans l’œuf.

— Tiré d’un état des pertes bimensuel rédigé par le sergent Unger

En vertu de son ascendance et du grand sacrifice consenti par son dernier descendant, le Façonnat reconnaît l’intérêt d’une union entre la maison Férald et la Légion des morts. Pourvu que la lignée soit intacte et suffisante, les relations de la Légion des morts pourront intégrer la basse noblesse, sous couvert de restrictions. Ladite maison mineure sera aujourd’hui soumise à consignation dans les mémoires. Puissent ses descendants trouver l’honneur.

— Extrait des mémoires

La Couronne de Cuivre