225 – Récits à l’intention des esprits aventureux

Il s’aperçut alors qu’il n’était pas seul. Le campement abandonné qui s’offrait à sa vue exerçait sur lui une irrésistible attirance, tel un mirage. Le feu crépitant, chaud comme une main sur son cœur, lui rappelait les souvenirs heureux de sa vie naguère : courir dans les champs de tournesols avec son fils, la figure gorgée de soleil ; somnoler au coin de l’âtre, sa femme dans ses bras…

Il ressentit une froide douleur, comme un coup de poignard, en repensant soudain à ce jour funeste où tout bascula. Au corps inerte de sa femme. Aux cendres de sa maison en flammes, comme autant de flocons de neige noire. Et cette affreuse pestilence… l’odeur des engeances. Il avait empoigné sa hache, serré les mains glaciales de son fils et quitté les lieux. Il allait les tuer, tous, jusqu’au dernier. Son cœur irradiait une insupportable agonie.

Il ouvrit les yeux et vit, indicible horreur, une ombre spectrale penchée sur lui, occupée à drainer sa vie. Alentour, le campement avait disparu pour laisser place à un environnement familier, presque paisible, fait d’ossements, de mort et de désespoir. Il se prit à songer que peut-être, toute sa vie n’avait été qu’illusion, qu’il n’avait peut-être jamais eu de famille. L’espace d’un instant, il se sentit soulagé : on ne peut perdre ce que l’on n’a jamais eu. Mais à voir ainsi la mort en face, l’esprit jouit d’une clarté remarquable. Il savait que l’illusion était ailleurs. Son visage tourmenté se fendit d’un sourire : voilà bien longtemps qu’il attendait cet instant. Il leva faiblement les bras, empoigna le visage du démon et l’embrassa. C’était comme embrasser un nuage de sable et de poussière. Soudain, toute peine disparut, et avec elle son dernier souffle de vie. Son corps n’avait pas touché terre que tout était déjà terminé.

Il était enfin libre.

— Tiré des « Récits édifiants à l’intention des esprits aventureux » de frère Ramos de Guilherme, 7:94 des tempêtes.

La Couronne de Cuivre