222 – Journal d’un apaisé

Il en est qui se rient de moi. J’ai cessé de m’en soucier.

Jadis, j’étais apprenti, comme eux. Sous la tutelle d’un enchanteur, je tentais de plier la magie à ma volonté ; et malgré quelques résultats, j’en suis conscient, j’éprouvais des difficultés. Je sentais le regard de l’enchanteur sur mes épaules, plein d’inquiétude et de déception. Tandis que les autres apprentis conjuraient le feu, c’était à peine si je parvenais à allumer une bougie.

La magie me terrifiait. Quand j’étais enfant, ma grand-mère m’abreuvait de récits contant les effroyables exactions de Flémeth, la sorcière des terres sauvages ; des inquisiteurs et de leur magie impie qui avait libéré les engeances sur la face du monde ; des démons, attirés par les rêves des magiciens comme des insectes par une flamme. Toutes ces histoires, elle me les contait parce que, disait-elle, le sang de notre famille était imbu de cette faculté.

Je ne faisais pas exception. Toute ma courte existence, j’avais frémi à cette pensée, imploré le Créateur de ne pas subir cette malédiction ; mais en mon for intérieur, je savais à quoi m’en tenir. Et lorsque les templiers arrivèrent en notre demeure, j’étais prêt.

La tour des mages était terrifiante, regorgeant de secrets et de dangers. Les templiers me dévisageaient comme si j’allais d’un instant à l’autre me changer en abomination sous leurs yeux. Mon enchanteur, quant à lui, tentait patiemment de m’enseigner comment mobiliser ma volonté, seule ligne de défense dans le cas où un démon tenterait de m’asservir, mais c’était peine perdue. Combien de fois me suis-je endormi les yeux rougis par les larmes, en ce lieu sombre et solitaire ?

Enfin arriva ma Confrontation, mon épreuve finale. Affronte un démon, disaient-ils, ou soumets-toi au Rite de l’apaisement. Ils étaient prêts à rompre mon lien avec l’Immatériel : ainsi, plus jamais je ne rêverais, plus aucun démon ne pourrait m’atteindre, mais en contrepartie je serais incapable d’utiliser la magie ou même de ressentir la moindre émotion. La confrontation avec le démon se solderait immanquablement par ma mort, aussi ma route était-elle toute tracée.

J’ai moins souffert que je ne l’escomptais.

Désormais, je sers de deux manières. Les Apaisés gèrent les archives. Nous administrons la tour, achetons les provisions et tenons les comptes. Notre état nous autorise en outre à utiliser l’élément magique nommé lyrium sans effet nocif, aussi nous confie-t-on l’enchantement des objets magiques. Nous sommes les marchands qui vendent ces objets à la clientèle approuvée par le Cercle ; c’est de ces ventes que le Cercle tire ses richesses.

En d’autres termes, les Apaisés sont un maillon crucial. Jeunes et moins jeunes ont beau nous prendre de haut ou être mal à l’aise en notre présence, ils se retrouveraient fort dépourvus si nous n’étions pas là. Qu’ils me considèrent donc comme un raté ; je n’ai plus à subir les horreurs de la magie. Je n’ai plus peur de ce que je suis. Les ombres ne sont que des ombres et je vis sans les craindre.

— Eddin le Docile, Apaisé du Cercle d’Osterburg, Marches libres.

La Couronne de Cuivre