116 – Secte draconique

Supposons, pour l’heure, qu’un dragon-sire n’est qu’un simple animal. Un animal rusé, assurément, mais dépourvu de conscience propre. Il faut l’avouer, jamais dans les annales un dragon n’a tenté de communiquer ni laissé penser par ses actes qu’il possédait une intelligence réelle.

Comment expliquer, alors, l’existence présumée des « sectes draconiques » au fil de l’Histoire ?

L’une d’entre elles au moins fait sens, corollaire de l’adoration des Anciens dieux dans l’Empire tévintide antique. Quand éclata le premier Enclin, nombre de citoyens impériaux eurent recours par désespoir à l’adoration des véritables dragons pour remplacer les Anciens dieux qui les avaient trahis. Un dragon, voilà bien un dieu tangible, véridique : il était aussi présent que l’archidémon lui-même et, l’Histoire en atteste, offrait une certaine protection à ses adorateurs.

Les autres sectes draconiques sont sans doute les héritières de la première : certains adorateurs ont peut-être survécu et propagé leur culte. La vénération des Anciens dieux s’étendait à travers tout l’Empire, sans doute pareils secrets ont-ils pu faire bien des émules. Pourtant, des rapports font état de sectes en des lieux que l’Empire n’a jamais atteints, parmi des peuples qui jamais n’auraient pu connaître les Anciens dieux. Comment l’expliquer ?

Les membres d’une secte draconique vivent dans la tanière même d’un dragon-sire, où ils veillent sur ses jeunes sans défense. En contrepartie, le dragon-sire leur permet de tuer un nombre réduit de ces jeunes pour goûter au sang draconique, que l’on dit imbu d’étranges effets durables : force et endurance, mais aussi appétit immodéré pour le massacre, sinon folie pure. Les chasseurs de dragons du Névarra ont décrit ces cultistes comme des adversaires d’une puissance inimaginable. À n’en pas douter, les altérations qu’ils subissent relèvent de la magie du sang, mais comment cette relation symbiotique entre la secte et le dragon-sire a-t-elle pu naître ? Comment les cultistes ont-ils eu l’idée de boire du sang draconique ? Comment le dragon-sire en est-il venu à leur confier sa progéniture, et comment les a-t-il persuadés ?

Faut-il y voir une intelligence draconique que nous ne soupçonnions pas ? Jamais un membre d’une secte draconique n’a pu être capturé vivant ; les comptes-rendus qu’en ont faits les chasseurs névarrans ne rapportent que discours incohérents et récits mystiques invraisemblables. Attendu que les dragons viennent à peine de réapparaître et restent extrêmement rares, nous risquons fort de ne jamais en avoir la réponse, mais la question reste posée.

— Tiré de « Flammes et écailles » de frère Florian, érudit chantriste, 9:28 du dragon.

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