112 – Arlathann – 1ère partie

Du temps où les ères ne portaient ni nom, ni chiffre, notre peuple était glorieux, éternel, inaltérable. Comme le grand chêne, ils manifestaient constance dans leurs traditions, force dans leurs racines et un essor perpétuel vers les cieux.

La précipitation n’a pas lieu d’être lorsqu’on a l’éternité devant soi. Leurs cérémonies de culte duraient des mois. Toute décision nécessitait des décennies de débats. Une initiation pouvait durer des années. De temps à autre, nos ancêtres sombraient dans un sommeil de plusieurs siècles, sans mourir pour autant, car nous savions qu’ils arpentaient l’Immatériel en songe.

En ces temps, notre peuple appelait la contrée Elvhenan, soit « les terres de notre peuple » dans l’ancien langage ; par extension, ils utilisaient aussi ce terme pour se désigner. Au centre du monde, l’immense cité d’Arlathann, lieu de savoir et de débat où les plus sages des anciens elfes se retrouvaient pour partager leurs connaissances, retrouver de vieux amis et résoudre des désaccords qui duraient depuis des millénaires.

Mais alors que nos ancêtres étaient pris dans le cycle éternel des ères, d’une vie qui, à nos yeux, se déroulait avec une lenteur insoutenable, le monde au-delà des forêts luxuriantes et des arbres immémoriaux était en plein changement.

Les humains, d’abord, arrivèrent de Par Vollen au nord. Appelés shemlens (« êtres vifs ») par les anciens, c’étaient de bien pitoyables créatures à la vie éphémère. Lorsqu’ils rencontrèrent les elfes pour la première fois, les humains étaient bravaches et belliqueux, prompts à s’emporter et plus encore à dégainer, trop impatients pour l’allure sereine de la diplomatie elfe.

Mais les humains apportèrent avec eux pire que la guerre : nos ancêtres se révélèrent vulnérables aux maladies humaines. Pour la première fois de notre Histoire, des elfes mouraient de causes naturelles. En outre, ceux qui s’étaient employés à marchander et négocier avec les humains s’aperçurent qu’ils vieillissaient, affectés par leur vie impulsive et effrénée. Beaucoup crurent que leurs dieux les avaient jugés indignes de leur longue vie et leur avaient fait partager le sort des shemlens. Nos ancêtres en vinrent à considérer les humains comme des parasites, tout comme les humains considèrent aujourd’hui les nôtres qui vivent parmi eux. Les anciens elfes entreprirent immédiatement de fermer Elvhenan aux humains, de crainte que cette accélération de leur métabolisme ne marquât la fin de leur civilisation.

— « La chute d’Arlathann », d’après la tradition orale de Gisharel, Archiviste du clan dalatien Ralafeïrin.

La Couronne de Cuivre