38 – Aodh

Il y a bien longtemps, un soldat de Gwaren s’en revenait à son foyer après vingt années de guerre. Il avait vendu son épée pour payer le trajet jusqu’à Dénérim et il lui fallait franchir la forêt de Bréciliane sans autre possession qu’un quignon de pain.

Chemin faisant, il rencontra un vieux bûcheron aveugle assis sur une souche d’arbre. « Voilà homme moins bien loti que moi » se dit le soldat, qui donna au vieillard son dernier quignon de pain. Le bûcheron le bénit et lui tendit sa hache en contrepartie.

Le soldat reprit sa route et bientôt, la nuit tomba. Il fit d’une branche d’arbre son gîte et conserva la hache du bûcheron à portée par crainte des animaux et des bandits. La lune était haut dans le ciel quand il fut réveillé par des pleurs. « Montrez-vous ! » cria-t-il, car il avait beau scruter les environs, il ne voyait personne.

« Aidez-moi, » gémit l’arbre dans lequel il dormait, « un mage m’a ainsi transformé, sans espoir de rémission. Si vous aviez une once de miséricorde, vous m’abattriez pour que mon esprit puisse rejoindre le Créateur. »

Aussi le soldat empoigna-t-il la hache pour fendre l’arbre. Où il cognait, coulait non de la sève mais du sang ; bientôt, la hache était couverte de cette poisse chaude qui brûlait les mains du soldat, mais ce dernier continua son œuvre sans faiblir. L’arbre finit par tomber et, en touchant le sol, éclata pour libérer un démon qui fit une révérence devant le soldat avant de disparaître dans l’Immatériel.

Transi de peur, le soldat en perdit le sommeil. Au matin, il s’aperçut que la hache brûlait toujours comme le sang du sylvan, mais malgré sa chaleur, il ne parvenait pas à se réchauffer. On dit qu’il finit ses jours à Gwaren, affairé nuit et jour à couper du bois pour ses sept âtres tout en grelottant et en maudissant les esprits.

La Couronne de Cuivre